< Jad-Volantis Phrasé >
lundi, février 27, 2006
  < personnage dieu >
"Dieu est mort, disait-il, Dieu est mort", qu'il hurlait dans la rue courant les bras en l'air. Même lui se fatigua de répéter cette phrase. Que valent les évidences lorsque l'on n'a pas le pouvoir d'être à leur hauteur ? Que Dieu existât, qu'il eut existé, qu'il soit mort, qu'il soit autre chose, ou rien du tout, ou qu'il existera : aucune importance. Dieu est un personnage assez plaisant parce que l'on n'a pas l'occasion d'en rencontrer de semblables tous les jours, contrairement aux humains qui, si extraordinaires soient-ils, sont toujours des humains. Lorsque l'on étouffe, un petit Dieu, ou un monstre spaghetti, ou un stylo qui a mal au ventre, ou n'importe quel personnage non humain, est toujours le bienvenu.
"Oui mais : mon cher ami, ce personnage, comme vous le dites, ne doit-il pas être le moyen d'exprimer l'humaine condition, l'âme humaine, la vie et l'ennui, la mort et l'amour, ne doit-il pas être, coincidentium oppositoria, plus humain encore que l'humain ?
-- Eh bien non, voyez-vous, sombre crétin, coquille vide orpheline de son Bernard l'Hermite, surfeur social accordant les battements de son coeur au roulis de la machine, l'humain : on s'en tampone. Overdose d'humain, terrorisme purifiant, sainte transgression salvatrice : voilà où nous en sommes, avec votre humain, et quand ça pète que les corps vole ou déchiquetés ressortent ironiquement sur des civières carbonisés forme de poulet, on crie hourra, nos poumons retrouvent de l'air, un petit moment télévisé qui nous permet de respirer et de retrouver un peu d'espoir. Tout ce que l'on veut, c'est autre chose que de l'humain. Vraiment : autre chose. Le personnage n'est que le moyen par lequel on reste tout de même bien sage, on ne s'écarte pas trop des lieux électrifiés. Par le personnage on peut jouer nos rêves encore sous l'oeil des caméras de surveillance (parce que la pédophilie, le meurtre de masse, le fascisme, le terrorisme et la masturbation devant les grilles des zoos sont sévèrement réprimés). Vraiment, essayez seulement, devant l'une de ces magnifiques caméras, de monter sur un cheval, déguisé en cavalier, et sabre au clair de jouer dans une rue, décapitant ceux qui auront le malheur de vous insulter ; si personne ne voit l'autre caméra de surveillance, celle du cinéma, la panique sera totale, mais si elle est là, combien grande sera la joie des passants. De même, ramenez des corbeaux sur la plage d'une grande ville sur laquelle vous aurez disposé des enfants de grains bien habillés et positionnés dans des postures vraisemblables ; la hargne des corbeaux à boulotter les bons grains nourrissants recevra plainte de tout le voisinage, à moins qu'une délégation de la ville haute et lointaine ne soit là pour expliquer qu'il s'agit d'une oeuvre d'art, que d'ailleurs ils pourront admirer dans telle galerie, en photos cette fois ; les ploucs de passants lâcheront alors un de ces fameux "ils sont fous ces romains" et retourneront à leur ordre sans poser plus de problèmes, mais garre à vous si vous ne bénéfieciez pas du moindre stigmate qui peut vous faire passer pour un puissant, afin d'éduquer ce crétin d'éboueur aux choses de l'art, de la même manière que les paysans étaient bien forcés de courber l'échine devant ce gringalet qui leur expliquait dans un langage qu'ils ne comprenaient qu'à moitié qu'ils devaient accepter telle ou telle chose, parce que procédant d'une logique qui les dépassaient, d'une raison de la ville là-bas loin grande, de la si compréhensive raison d'Etat, quand bien même dans le même temps ça les dépossédait de leur propre terre savamment travaillée, de leur culture débile et de leurs malheurs familiers. Voyez, excellent gentilhomme, je demande à m'échapper de vos caméras paranoïaques, et vous laisse votre humain que vous avez su si bien connaître et contrôler.
-- Pff, misérable parasite, faites donc ce qu'il vous semble bon. Vous n'irez pas bien loin et ne présentez absolument aucune espèce de danger. Nous possédons les moyens de vous faire disparaître.
-- Imbécile, je serez tellement humain dans mon indifférence à l'humain que je disparaîtrai pour vos moyens de contrôle, sans jamais cesser d'être là, in-différent à tous vos yeux mécaniques, intouchable et libre enfin.
-- Vous me dégoûtez.
-- Mon indifférence à l'humain m'empêche de goûter les joies régressives du retour à l'animal. Vous ne verrez là rien de dégoûtant. Vous ne comprendrez rien. Tout au plus sourirez-vous pour ne pas perdre la face, libre tout de même d'user de votre pouvoir autoritaire pour, le plus simplement du monde, comme vos grands-cousins ont su le faire parfaitement, nous exterminer. Et je ne doute pas que votre humanisme ne vous empêchera pas de recourir à cette solution, somme toute, assez banale.
-- Plaisantez comme il vous plaira, je ne sais pourquoi je perds mon temps."
Dieu peut être un personnage sympathique, comme le Père Noël, ou violemment autoritaire et destructeur. Il a tellement été utilisé qu'il peut être n'importe quoi, ce qui n'est pas le cas des personnages mythiques, qui ont une histoire bien précise, ou des humains, trop cintrés dans les catégories de l'humaine compréhension ("l'erreur est humaine", n'est-ce pas), ou même des objets qui s'animent et perdent tout intérêt dès que débordent de leur fonction usuelle ou symbolique pour, en général, s'anthropomorphiser. Dieu peut encore être le nom de code de l'Être qui ne connaît pas d'étant, si l'on n'est pas capable de supprimer de ses textes la trace physique du moindre personnage. Dieu est souffle, disent les plus instruits en la matière, aussi peut-il être la respiration qui depuis (les grecs ?) nous manque, la respiration de l'humain, qui lui et moi m'étouffent franchement (si encore je croyais à quelque idéal actuellement effectif qui permet aux "laïcs" de se tenir debout, mais même plus ! C'est d'une province sans Dieu que je fais appel au fantoche). Dieu est le nom de l'infini possible. L'infini possible est ce qui comprend ce qui sans crier gare survient, et non le réceptacle d'éléments prédéfinis, ni l'infini néant lumineux de la conscience qui prévaut chez les êtres soumis au contrôle de l'Etat hégélien, pas plus que la nuit son contraire. L'infini possible est ce qui sans cesse échappe à la consciente-préhension humaine, il est ce que comprend la compréhension lorsqu'elle fait fi de la provenance de ce qu'elle comprend, de l'humain, ce qui lui reste dans les doigts et qu'elle ne comprend pas.
Dieu avait certes beaucoup d'imagination, mais avant tout, il voulait créer sans cesse. Combien l'ennuyait la répétition, lui qui tel Lao Tseu était né de lui-même, et n'avait pas eu de maître pour le forcer, matraque dans une main et dessert dans l'autre, à répéter mille fois au moins le même geste afin de plier son corps à la discipline de l'artefact. Il était né longtemps après que sa maman soit morte, et ses nourritures terrestres, c'est lui-même qui se les prodiguait d'une main assurée. Il rêvait le monde qu'il aurait voulu construire, il se racontait des histoires qui stimulaient son rire et son intellectuel appétit, mais voilà, au moment de passer à leur réalisation, ces rêves et ces histoires étaient déjà périmés, et son activité scripturale consistait à disserter, à la lumière d'une bougie, à partir de ces rêves et de ces histoires qu'il venait d'inventer, imaginant autre chose, créant autre chose, sans fondamentalement changer de sujet. Dieu rêvait à l'infini possible, qui est lui-même puisque c'est lui qui le rêve et qu'il se résume à ce rêve. Dieu est le performeur infini qui n'est astreint à aucune représentation (Paul Valéry rêvait de l'égaler), de sorte que ce qu'il rêve n'est ni bon ni mauvais, ou à la limite a plus ou moins de sens et/ou fait plus ou moins rire, mais tout simplement est. Dieu souffrait de son incapacité à créer de la même manière dans le noir et dans ses rêves, et à la bougie sur le papier. Il savait que seuls ses écrits allaient rester et, dans l'hypothèse où quelque fou envisagerait de créer un monde à son image, ce monde serait créé selon des principes, des lois, des structures, en somme raisonnablement, quand bien même ses écrits étaient à peu près incompréhensibles au commun des mortels. De même que le Père Noël est un doux rêveur qui a à sa botte une armée d'esclaves réjouis qui lui construisent ses commandes, Dieu avait un frère ennemi qui lui volait ses textes lorsqu'il s'était retiré dans un sommeil réparateur et pleins de rêves qu'il ne retenait pas, un frère que l'on dirait de nos jours ingénieur, dénué du moindre talent pouvant lui procurer l'admiration des foules, et qui plein de ressentiment tentait de s'approprier les créations de son frère en les réalisant. Ne nous préoccupons pas du Diable, qui est tombé dans la poubelle de l'Histoire, même si la plupart des humains l'ont confondu avec son frère.
Dieu n'était pas schizophrène, contrairement à ce que diraient aujourd'hui les psychiatres. Romantique, certes, mais pas chrétien, il assimilait l'absolu à une réelle liberté de mouvement de l'Être, et à son mouvement même, bien qu'il ne soit jamais allé ailleurs que dans sa chambre, dans son bureau et, une fois, il fut surpris à fouiller dans le garde-manger de la cuisine.
Dieu rêvait sans mots, mais il n'aurait pu être exactement artiste ou cinéaste, car sans images non plus, pas plus que de choses, et encore moins de réflexions. Ses écrits trop rationnels (Borges rêvait de l'égaler) cachaient, pour celui qui ne voit qu'eux, un appétit d'étrange et d'ailleurs qu'il ne parvenait pas à transformer en mots. Parfois, il tentait l'expérience, mais son esprit conscient restait trop présent, il lui était impossible de le faire taire tant que la lumière n'était pas éteinte. De fait, ces expériences scripturales se présentaient comme l'exact avers de sa condition à la lumière, soit des mots disposés n'importe comment, qui ne voulaient rien dire, qui n'étaient même pas la tentative de traduire un quelconque ressenti, et qui bientôt l'ennuyaient, le laissant triste et vide, de sorte que pour qu'il retrouve sa joie, il lui fallait attendre le lendemain matin, l'aube d'une nouvelle journée qui effaçait la précédente.
Dieu possédait cette capacité de se régénérer chaque jour. Sa capacité d'oubli pouvait sembler étonnante, et particulièrement, on s'en doute, à son diable de frère. Ou plutôt chaque jour, il se rappelait, répétait son éternelle rêverie.
Voilà un personnage bien simple, dirait-on, un concentré de personnage, si un personnage l'est d'autant plus qu'il est dessinable en quelques traits par lesquels on le reconnaîtrait entre mille, traits par lesquels il accède au rang d'étant et entre dans la mémoire. Seulement voilà, Dieu n'est pas un individu : il est l'infini des possibles, l'absolu du mouvement de l'Être. "Ce minuscule inutile avorton, l'infini des possibles ? Laissez-moi rire, vous commettez une erreur enfantine qui consiste à confondre ce que tu es et ce que tu rêves d'être." Pas du tout, bout de viande morte représentée sise dans la représentation -- "mais c'est vous, qui êtes dans la représentation !" --, c'est vous qui faites une confusion, mélangeant mouvement de l'Être et mouvement du corps, affolé que vous êtes à courir en tous sens pour échapper à la mort, croyant que c'est parce qu'on la représente en squelette, donc sans muscles, qu'elle ne sait pas courir. Maudit sportif, vous baignez tellement dans la conformité que vous ne vous rendez pas compte qu'il existe autre chose, quelque chose qui, "n'existant pas", vous amène à vous considérer tout naturellement dans votre bon droit pour la détruire sans même vous en rendre compte, arguant si on vous le demande que vous pouvez très bien vous en passer, avant de vous suicider un dimanche soir de pharmacie fermée à sec de vos cachetons. Pardon, je m'égare : ce n'est pas vous qui prenez des cachetons, vous qui vous accomodez si bien du désert que vous étendez.
Dieu est l'infini des possibles parce qu'il n'est pas son personnage, et jusque là je parle pour toi, sportif, et pour toi, fonctionnaire, idiots qui regardez le doigt quand le sage montre la lune et mettez la lune à l'index...
Dieu est le plus simple des personnages, encombrant ainsi le cerveau des gens de pouvoir, occultant la totalité de leur oeil mécanique, rassasié. L'essentiel est libre et peut se déployer en toute sérénité. Les censeurs ont eu leur histoire, ils sortent de la salle, le spectacle peut commencer. Tant que la morale est sauve pour ceux qu'elle inquiète, laissés dans leur nullité pour qu'ils n'inquiètent personne, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes divins.
Si Dieu avait connu l'image, peut-être ses rêves n'auraient-ils été que la plus grande orgie de tous les temps, dépassant de très loin le traditionnel et chaste kama-sutra. Mais il n'a pas connu l'image, non plus que le sexe, et la jouissance ne l'intéresse nullement. Dieu aimait à dire : "c'est quoi, cette jouissance, qui intervient à la fin ? Je n'y comprend rien. Moi je crois qu'elle est là tout du long". Autrement dit, Dieu fut dans un état de sainte béatitude sa vie durant. Certains arguent que Dieu est un con, ce que l'on comprend bien, puisque ce que les cyniques nomment "vérité", Dieu ne le connaissait point. Mais Dieu est richesse et les cyniques néant, qu'ils crèvent dans l'angoisse la plus grande, eux qui ont souhaité leur malheur (à trop confort l'évidence), et celui du voisin par la même occasion. Dieu ne connaissait pas l'image, et pas bien plus les mots. Notre difficulté sera de retrouver ses rêves avec des mots, et, peut-être aussi, des images. Décrire l'indescriptible. Il nous faudra prendre garde aux mots, et prendre garde aux images. Ne pas chercher à débuter notre histoire par un rêve quelconque, et dès maintenant ne plus parler de "rêves", car il s'agit d'une chose unique, bien que multiple, les possibles en nombre infini dans la nuit infini d'avant le premier jour, avant que Dieu ne meurt, très longtemps avant que la nouvelle se propage, avant que son frère ne pille ses tiroirs pour mettre en branle son plan diabolique, comme le nazisme n'est que la première création, et la plus douce, issue du pillage par le lama des tiroirs de Frédéric Guillaume. Le second romantisme, dénommé "pop", celui où l'on ne parle plus anglais, langue du nouveau centralisme, est en marche, plus violent que le premier. Nous sommes des jeunes vieux, trop vieux, à l'heure où la jeunesse est fun, trop fun, et toujours old fashion, et toujours à la page d'un monde "révolutionnaire" après la théorie des systèmes, dans un back$$$ révulsant. Et nous sommes cons, très cons. La preuve : nous estimons que la bonne conscience en société n'est pas le but ultime, celle qui laisse des trous derrière dans la carrière de l'intime, des fêlures, et un grand vide finalement. Ce n'est pas symbolique et ce n'est pas lapsus. Le rire journalistique poussé à l'extrême devient grimace de monstre et leur visage meurt dans un grand déchirement, photographiés par Hiroshima à qui ils avaient imploré, leur vie durant, par leur labeur sans faille, une place dans ce royaume, l'annulation de la nullité ne pouvant être comprise par ceux-ci qui lèvent bien haut leurs droits et hurlent dans le désert, pris à leur propre piège. Tout journaliste est un incompris parce qu'il ne comprend rien. Aucun souffle ne vient à lui parce que le souffle de l'explosion le porte, vers son annulation. La "fin de l'histoire" est le début de l'ère de l'annulation, antidote apportée par le système alors qu'il ne peut plus revenir en arrière. Comme les croyants que l'on extermine parce qu'ils adorent l'au-delà, les contemporains serons annulés parce qu'adorons la nullité. Cioran, qui adorait le "néant", s'est fait bouffon afin de mettre un terme à toute résistance, et les jeunes fun l'adorent, avant de trop bien entrer dans la page. L'électricité pouvait soudain "électrifier", précisément, et la révolte, l'énergie et la jouissance appartenait à son monde. L'électronique, l'informatique, met tout à plat : tout se fait par-dessous, en-deçà de ce que les caméras peuvent capter. La non-révolte est innaccessible au pouvoir. On ne peut revenir en arrière, mais il ne peut nous annuler. Les juifs ont trouvé leur terre, leur nation et leur Etat. Nous reprenons le flambeau, que nous soufflons, et parcourons la nuit, nyctalopes, laissant à leur laisse les chiens aboyer après leurs maîtres dissouts.
 
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