< Jad-Volantis Phrasé >
vendredi, mai 19, 2006
  < développement des êtres informés >

« J't'ai jamais vu faire quoi que c'soit. Tu sais rien faire. Nul.

— Si tu crois qu'c'est facile, tiens. Qu'est-ce tu veux que j'fasse, hein ?

— Tu crois quoi, hein, qu'est-ce que tu crois ? Bien sûr qu'c'est pas facile, c'est sûr, mais tu pourrais au moins essayer. J'sais pas... Ou sinon travaille, c'est toujours ça, au lieu d'rien faire.

— Mbouèf. »

A. part faire quelque chose. A. a toujours quelque chose à faire. C., qui n'avait pas ouvert la bouche et restait jambe croisée main au menton le bras sur le genou et l'air un peu atterré dit :

« C'est pourtant facile d'être un génie. D'être parfait. Y'a qu'ça, d'toute façon, maint'nant, c'est facile, et y'a pas moyen d'être aut' chose. »

B., en qui monta immédiatement un sentiment de danger qui lui fit voir en C. un adversaire possible dans la lutte de classement des génies, dit dans une moue : « non », en étirant le ‘‘o’’, puis il chercha quelque chose à dire, ne bougeant pas pendant quelques instants, mais, ne trouvant rien à ajouter, il se roula une cigarette.

Il n'y avait aucune complicité entre B. et C., et aucune intimité. Chacun était le seul ami de l'autre, et ils avaient beau sortir ensemble, ils demeuraient étrangers l'un à l'autre, sans qu'aucun des deux ne puisse rien y faire.

De temps en temps, C. proposait à B. de faire un jeu. Sa voix alors malicieuse laissait présager qu’il y aurait une certaine séduction dans le jeu, quelque soit celui-ci, pouvant éventuellement déboucher sur une certaine complicité. Mais B. refusait, ne voyant aucun intérêt à jouer, sauf lorsque C. lui avait déjà fait cette proposition plus tôt dans la journée, ou la veille, auquel cas il se disait qu'il ne pouvait pas refuser, dans une idée confuse de diplomatie sans aucun but précis, et alors il participait au jeu, mais ne jouait pas vraiment. C. abandonnait le jeu au bout de vingt minutes, agacée, et B., qui s'était abandonné au vide, recevait l'onde d'un ton dans la voix de C., ou bien un geste trop vif, et il se maudissait de ne pas avoir été un peu plus attentif. Il souhaitait passer à autre chose, mais ne parvenait à sortir de l'abrutissement qu'en s'être une seconde fois abandonné au vide, sans faire rien de précis cette fois.

Parfois c'était B. qui, particulièrement en forme, abordait C., en tentant de l'emmener dans une réflexion dont la naissance et tout le développement consistaient en un unique stimuli cérébro-nervo, en obéissant à sa forme qui le faisait délirer, espérant vaguement que C. se joindrait à ses pitreries, ou en la taquinant, mais dans tous les cas, C. se rétractait, accentuait sa moue ou en profitait pour ressortir une ligne argumentaire des plus psycho-rigides possibles, toujours suffisament pour que les ardeurs de B. fondent en un instant, mais pas assez cependant pour qu'il se sente blessé. Il retombait dans sa léthargie habituelle.

B. et C., n'ayant quasiment jamais rien à faire, restaient dans un voisinage mutuel à longueur de journées, souvent dans la même pièce, souvent sans se parler, chacun avec un livre, un jeu vidéo ou internet, et il était rare que l'un des deux otât ses écouteurs.

Lorsque l'un des deux partait, l'autre ressentait généralement une soudaine montée d'érotisme. C. en profitait pour se double pénétrer avec deux gods de la taille maximale qu'elle avait pu trouver, portant à sa bouche tout liquide s'écoulant, et B. se masturbait, non sans s'introduire, parfois de force, quelques doigts dans l'anus. Les rares relations sexuelles qu'ils avaient étaient des rapports gênés et furtifs. B. ne parvenait souvent pas à bander, et C. restait inerte, sur le lit, le visage sans expression. Parfois B. finissait par lui donner des petites tapes, auxquelles elle répondait volontiers, et les tapes s'enchaînaient, se transformant en frappes, de plus en plus fortes, jusqu'à ce que l'un des deux ait le dessus. Lorsque c'était B., son esprit, qu'il essayait à n'importe quelle heure du jour et de la nuit de garder clair, même si le plus souvent totalement vide, se brouillait, un sentiment chaud s'emparait de son corps, un rictus lui poussait à la bouche, et sa domination ne tardait pas à se traduire par de violents coups de boutoir de son sexe dans les orifices de C., laquelle était comme morte, mais, retrouvant chaque fois cette idée que pour trouver son salut il vaut mieux jouer le jeu, acceptait cette domination, et venait alors à jouir, si B. lui en avait laissé le temps. Si C. avait pris le dessus, elle étranglait B, dont le sexe commençait à durcir à mesure que son souffle se perdait, puis s'empalait dessus avec force, telle une furie, sans égard aucun pour le membre de B., qui ne ressentait d'ailleurs rien, et sans surtout jamais lâcher son étreinte. Quand elle était prête à jouir, il se trouvait que B. se trouvait prêt de manquer d'air complètement, et c'est à ce moment-là que le rapport combiné de la jouissance et de la force tournait à son avantage, lui permettant de sortir de l'étau imposé par C., qui avait alors relâché quelque peu son étreinte, abandonnée à sa propre jouissance, et de ressentir la jouissance dans son sexe, qui ne tardait pas à répandre son sperme. Leurs coïts n'étaient jamais protégés et ils s'arrangeaient sans même y penser pour que la décharge ait lieu dans l'anus de C. Il est vrai que parfois, par pur sadisme de B., ou par pur lyrisme de C., elle avait eu lieu dans son sexe, mais dans ces cas-là, C. avalait une pilule du lendemain. Elle ne prenait pas la pilule parce qu'elle savait très bien qu'elle l'aurait oubliée au moins un jour sur deux, et il était évident pour eux deux que le préservatif n'avait aucune place dans leur couple.

Il arriva pourtant une fois que C. renonça à prendre la pilule du lendemain, pour voir. Elle souhaitait essayer d'avoir un gros ventre. Elle ne vit bien sûr aucun gynécologue, pas même de médecin, et ce n'est pas B., qui trouvait cela "marrant", mais sans plus, qui lui aurait conseillé le contraire. Elle fût très malade, et lorsque son état lui permettait de ne pas ressentir son corps souffrant, elle s'enfermait dans la salle de bains pour essayer de plonger la main au plus profond de son sexe. Elle n'arriva jamais à extraire le foetus, mais cet exercice se révéla bénéfique au moment de l'accouchement. Celui-ci eu lieu dans une maternité, parce qu'au dernier moment chacun des deux prit peur, et d'autant plus qu'ils voyaient un incompétent dans l'autre rien qu'en regardant ses yeux. La haine indifférente de C. à l'endroit de cette chose qu'elle avait procréé trouva sa justification dans le comportement des sages-femmes. C. se les était imaginées austères, pleines d'une morgue psycho-rigide, fondées sur l'ancien modèle qui voulait que l'on fasse le métier pour lequel on n'avait précisément pas la vocation, mais au lieu de trouver des complices silencieuses, elle vit des mères profondément attardées mentalement, qui la considéraient naturellement comme l'une des leurs, s'occupaient avec le plus grand soin, et semblait-il le plus grand plaisir, du bébé, et ne pouvaient s'empêcher d'infantiliser C. elle-même, dont la haine, en contrepartie, trouva sa résolution, ou déjà sa tranquillité, dans l'imagination du crime. Elle n'allait pas tout de suite passer à l'acte, ç'aurait été trop grossier, et trop précipité, d'autant plus qu'il fallait tenir trois jours dans cette maternité. B., lui, se contentait d'être là, tant qu'il ne sentait aucune tension entre C. et lui. Mais dès qu'il sentait la moindre tension, qui n'était souvent qu'une illusion provenant du réveil des nerfs de son corps qui s'ennuyait -- dès que, finalement, un stimuli cérébro-nervo naissait en lui, une idée -- il la comprenait comme un ordre de départ de la part de C., et s'en allait.

Personne dans leurs familles respectives, qui avaient tant à faire dans leur vie, n'était au courant de la grossesse de C., et même aucun voisin. A., de plus, avait facilement été tenue à l'écart en ne la contactant pas. C. sortit seule de la maternité un matin, profitant que B. n'était pas là, puisqu'il ne venait qu'aux alentours de treize heures, après qu'il se fût levé, qu'il ait bu un café et qu'il fût sûr de ne pas trouver de relents de cuisine dans les couloirs et la chambre de C. Trois rues après être sortie, C. eu le violent désir de réduire en bouillie le corps du bébé, et sa tête surtout. Le bébé s'appelait Michel, c'est le premier nom qui était venu à l'esprit de C., ou plutôt le second, C. ayant dans un réflexe éliminé "Gérard", lorsque la sage-femme lui eût demandé son prénom, et même si le prénom de Michel n'apparaissait jamais dans les phrases se déroulant dans la conscience de C., elle se maudissait de lui avoir donné un prénom qui évoquait pour elle l'atmosphère d'un PMU lorsque tous les ouvriers ne sont pas encore de retour après leur journée de travail. Devant la poubelle, elle sortit le bébé de ses langes, mais étrangement, elle sentit le besoin d'avoir un geste d'amour pour lui. Mais comme en aucun cas il ne devait atteindre l'appartement, pour ne pas que des voisins le voient ou l'entendent, il lui fallait le faire disparaître sur le chemin. Ce sentiment d'amour, très vite se transforma en un désir sexuel. Sous un pont, à l'abri des regards, elle déshabilla le bébé, qui ne tarda pas à faire ses besoins, que C., acceptant sa domination, avala avec avidité, et non sans geindre, avant de remballer le bébé dans ses vêtements, de se nettoyer le visage avec l'eau polluée de la rivière, puis, assaillie d'un sentiment de vengence, elle tordit le coup au bébé, tenta de réduire sa tête en bouillie, ne réussit qu'à lui enfoncer les deux yeux au fond du crâne et à lui dessouder la boîte crânienne, qui à sa grande horreur explosa, puis elle le mit dans une boîte, qu'elle déposa dans une poubelle. Elle rentra à l'appartement en mode automatique, le monde tournant autour d'elle, et s'effondra en pleurs incontrôlés sur le lit, réveillant B. par la même occasion. Il pouvait l'approcher dans ses moments de faiblesse, c'est pourquoi il la prit dans ses bras.

Ce n'est pas tant son acte qui faisait pleurait C. que le sentiment d'avoir briser l'image de sa propre mère, qu'elle ne voyait plus que très rarement, et dont elle tentait de refouler à grands renforts de haine le souvenir, afin qu'elle ne lui manquât pas. Lorsque ses esprits lui revinrent et qu'elle se fût dégagée de l'étreinte de B., la première chose qu'elle pu formuler fût : « mais qu'est-ce que c'est sale », et elle fût prise à nouveau de sanglots.

B. ne pensait pas le bébé comme son fils, mais comme la chose de C. Qu'elle ne l'eût pas ramenée ne lui semblait pas remarquable. Toutefois, il ne bu pas une bière, comme tous les soirs, mais le pack entier. C., quant à elle, s'installa sur le balcon dans une chaise pliante, des lunettes noires sur les yeux, et ne bougea pas de la journée.

A deux heures du matin, C., toujours sur la chaise longue, avec simplement une couverture sur le corps, et B., allongé sur le lit, saoul et amorphe, songèrent tous les deux à la perspective de leur vie. Ils virent chacun un carrefour, qui consistait en deux voies possibles, aussi vagues l'une que l'autre, mais qu'ils appelèrent tous les deux ‘‘vie’’ et ‘‘mort’’, ainsi qu'en la reconnaissance, ou non, du bébé comme évènement dans leur vie et dans leur couple. Evènement, ou plutôt, parce que ces questionnement, comme le destin qui se pointe, montrent qu'ils reconnaissaient le bébé comme un évènement, la possibilité de choisir que cet évènement soit joyeux ou malheureux, donc évènement indifférent ou supra-évènement. Une heure plus tard, le temps que toutes ces images s'étalent sur leur conscience, B. et C. avaient choisi de considérer le bébé, ainsi que sa mort, avec joie, et ce choix qui demandait de la volonté les ragaillardit.

Par la suite, B. et C. jouèrent souvent ensemble, chacun tentant de séduire l'autre tout au long du jeu. Ils rirent, délirèrent, firent l'amour tous les soirs, ou presque, s'abandonnant à l'autre. Ils développèrent des passions, C. pour la sculpture, et B. pour les installations. Ils devinrent des artistes reconnus par leurs pairs et sur le marché de l'art, bien que personne ne comprit jamais rien à leurs oeuvres, qu'ils créaient sans chercher à les comprendre non plus. Ils développèrent un dense réseau d'amis, leurs familles furent fières d'eux, les couvrant d'un amour admiratif bienveillant.

Dix ans après la mort du bébé, à l'âge de trente-deux ans, C. donna naissance à une petite fille, qu'elle et B. choisirent d'appeler Loumiène, sans trop savoir pourquoi, puis trois ans plus tard, alors que leurs oeuvres d'art se négociaient déjà très cher sur le marché, naquit un garçon, qu'il appelèrent, sans trop savoir pourquoi non plus, Valérien.

C. et B. cessèrent dès lors de créer, passèrent le plus clair de leur temps à s'occuper de leurs enfants et à « profiter de la vie », comme ils se le disaient chaque fois qu’ils sortaient de chez eux pour ne rien faire de spécial. Lorsque Loumiène et Valérien furent adolescents, des adolescents qui s'entendaient très bien avec leurs parents, vivaient chacun de leur côté une vie sociale intense et heureuse et revenaient à l'appartement pour partager des repas qui se déroulaient dans la joie, C. et B., qui portaient toujours en eux la trace de leur oeuvre bien qu'ils s'en furent délestés, se mirent à essayer de la comprendre. Ils publièrent des livres sur leur oeuvre respective, et d'autres inspirés par elle, furent reconnus comme écrivains par leurs pairs, par les critiques et par les librairies, qui plaçaient toujours leurs ouvrages sur l'étalage des meilleures ventes dès leur sortie, puis furent des vieillards heureux.

Ils furent comblés lorsque Loumiène et Valérien, unanimement reconnus comme des génies dans leur domaine, respectivement en graphisme et en sociologie, adulés comme tels et recevant des revenus financiers proportionnels à leur gloire, eurent à leur tour deux enfants chacun.

Des êtres qui eux furent très malheureux.

 
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