< Jad-Volantis Phrasé >
lundi, novembre 07, 2005
  < amédé >
Amédé seul, dos au mur, croise les doigts. « Chance, pardi ! La lune éclaire la fontaine », dit-il. La pleine lune, lumineuse dans la nuit, semble en effet projeter ses rayons sur la fontaine, qui ne se doute de rien.
Amédé s’élance vers la fontaine, il tente de l’enserrer de ses grands bras, agenouillé. « Fontaine ! Fontaine ! Que je t’aime ! Que j’ai foi en toi ! » Il rit et pleure tout à la fois. « Tes ennemis sont les miens. Nous vaincrons avant que les hommes ne décident. Je jure de me battre à tes côtés jusqu’à ma mort. » La fontaine ne se doute vraiment de rien, paisible toujours.
La lune descend rapidement, le jour monte, monte, les habitants sortent de chez eux, les bruits de la vie emplissent l’air, la lumière inonde la place. Amédé se lève, se nettoie le visage dans la fontaine, s’emplit les poumons, vaillant et résigné à sa promesse, puis court.
À sa vue, le maître de forge éructe. « T’étais où donc, bon à rien ? C’est que t’as pas entendu l’chant du coq ? Toujours à trainailler. Frappe-moi cette enclume.
— Six ans que je frappe cette enclume, rien d’autre à faire ? ose répondre Amédé.
— Huit cents ans qu’elle est frappée, elle. Plains-la donc elle, plutôt. Égoïste ! »
Amédée frappa l’enclume un jour de plus. Le maître de forge, terminant la dure journée de travail par une pinte de bière à la caverne, ne put voir Amédée frapper l’éclume tout le soir encore, et toute la nuit encore, tellement qu’il était au matin à frapper l’enclume lorsque le maître de forge arriva. Il railla son zèle, une goutte de trop, la transe dans laquelle Amédé était entré eut raison du grand et fort et bruyant maître de forge. Alors il s’enfuit du village.
 
vendredi, novembre 04, 2005
  < images >

Brigantine se tord, gémit, pleure en sourdines assourdissantes, crépite des crécelles salivantes de mille mamelles perdues, se mouche polie, s’estompe.
La princesse éteinte fend du bois sous la pluie, elle tient dans sa main une coupe de flanelle débordante.
Tortionnaire en sabots, hache de naissance, gigot trop cuit, fruit défendu.
Que je ne sache pas ce que tu as fait. Implore la rescousse d’un pirate déborgné. Creuse le vase à dessein. Fiente !
Je marrie un saint, une craie à la main, fredonne une plaie, hachure les murs. Père insiste pour me saler le pied, il étreint une dame, une grosse qui sent des aisselles, peau de tétardière que les aiguilles crèvent.
Gilles tranche un morceau de pain, éteint le poste de radio, grogne sans cesse, articule une biche lovée dans le sol d’un marécage perdu, gigotte en cadence, retient le souffle d’un papillon d’écume.
Trois fois plus de morts sur les routes avant-hier, la fumée monte dans le ciel, griffe l’escale du paquebot France, hennit toute le nuit, rote à ta gueule.
Maman, les méchants ont tout pris. Leur sourire hante mes nuits, dans la sueur, des poils me bandent les cuisses. Les lumières sont éteintes, nous sommes seuls. L’immense palais éructe soudain de toute sa forêt, des éclairs sombres parcourent mes pupilles.
Mange ! Mange ! Fini ton assiette ! Chien de malheur, corps jeté dans le néant, plate carcasse, tu n’es rien. Tu n’es rien ! Tu m’enfuis, ma salive tu, des sueurs, ne pars pas, nous avons tellement de choses à nous taire — avance !
Une planche de salut t’est offerte. Accroche-toi. Elle surfe dans l’espace. Ricoche sur des planètes invisibles, danse entre les étoiles. D’ici l’on voit encore sa traînée.
Une caverne ça gonfle et ça fait des images. C’est tout mou et ça sent le mort.
Petite, allons voir si tes pleurs égrennent des soldats.
Ta stupidité marquée au fronton du monde dans lequel tu entres — tu te tais. Tu dis oui et acceptes, applaudis même lorsqu’il faut. Ta joie marquée du sceau de la boue sur ton dos, tu attends qu’on te dise ce que tu dois aimer, tu écoutes ce que tu dois faire. Attends ! Écoute ! Reste ! Assied-toi ! Ne fais rien que je ne sois pas là, ne fais rien que je ne t’ordonne pas ! Je sanctionne, moi ! Je dis qui ! Quoi ! Et blabli ! Et blabla ! Je ne meurs pas, moi ! Gardien du monde sur le fronton duquel arquée ta stupidité.
Tu sais, Armandine, les êtres comme toi sont produits à la chaîne. Quoi que tu fasses, dises et respires, je te sais, tu es sous la coupe de ma boîte crânienne. Tu ne peux rien que l’on ne connaisse déjà. Plus tard, sur ta tombe, je verserai peut-être une larme, pour la justice.
Ta vie en carcan voit son landeau s’enfuir sur ses rails. Lève les bras, pousse tes petits cris de joie, de haine, de révolte, mobile tes petits poings, pose un doigt sur ton sexe, ta vie est finie, nous avions déjà tout fait, rattrape ton landeau vite.
Lili pute elle s’écrase, ou partie, elle amasse, elle tournoie, elle éjacule entre ses doigts gantés, gémit faussement dans des pièces rouge et noir, revient et boude, je la chasse, mais elle sait. Lili pute est entière le monde, elle m’enterre la bonde, Lili pute elle s’écrase, elle m’harasse de ses fils qui me tournent et m’aveuglent, elle rit puis pleure puis pardonne puis insulte puis plaint puis jouit puis part, et laisse son gant sur ma table de travail.
Mignonne, allons voir si les troènes en accents circonflexes.
T’as pas le droit de laisser passer la vie — elle s’en fout de toi, qu’est-ce tu crois ? Tu n’es qu’une petite fille innocente, une ignare infâme, que tu crois proposer ton être fœtus au monde, bourgeon aigri vieilli, ta petite chatte de vierge toujours aux rides multiples pourrira lorsque tes bras trop larges repliés sur ton corps auront tout l’air passer le temps d’une vie laissé.
Obscur désir embruni, papyrus craqué se rappelle, ils jettent un sort sur la tête d’un enfant déjà mort, plions bagage au pays des disparates, mors le cheval qu’il te traîne.
Rengorgeons tous ces avortons qui des boutons sur la gueule et du vent dans le crâne nous ordonnent nos pêchés, nous jeunes vivaces frivoles éclatés en myriades de néons, nous chères lumières d’une surface toujours blanche, et la merde sous nos pieds.
Lisse dru ma calèche. Hue ! Abois si tu peux, ronfle encore un p’tit peu. Flambloie dans la nuit les arabesques t’esquissent. Chante au silence gondolé, indique la direction du lever. Je t’aime quand tu flottes la tête renversée à touner dans tes jupes plissées. Je t’aime lorsqu’occupée à toi toute m’oublies.
Je ne présente au monde qu’une façade. Ne suis pour moi-même qu’une façade, yeux de vache. La maîtrise des autres est totale, tous me méprisent. La géniale méprise slalome dans le temps, serpent cosmique à la queue de comète. Dans ma cabine j’étale ma merde sur les murs et je ris.
Le gars sur le bord du chemin hurle à la mort sans plus de raison que d’y croire, il aspire à traquer les vipères, il maudis la terre le ciel père et mère, mais enfin, il se relèvera d’un bond pas content du tout d’avoir perdu tout ce temps. Une auto passera dans son dos, le temps qu’il se retourne, levant son regard nouveau au loin où les cheminées bandent de l’air. Ensuite il marchera d’un pas sûr.
Plutonium appauvri, une gigogne respire dans le matin calme des sons de cloche, un enterrement a lieu, quelque part à quelques lieues, une fillette pleure son petit chien, sans mentir sans gémir sans rien dire elle se laisse faire, car le père, car le frère, car le grand-père et bien d’hommes, la brume se lève, la boue commence à accrocher, une flamme emporte tout.

 
mercredi, novembre 02, 2005
  < la mort désormais nous ennuie, ou nous fait rire >
La mort désormais nous ennuie, ou nous fait rire. Il était un temps où elle apparaissait horrible aux humains. La mort constituait leur horizon, certains ne voyaient même plus qu’elle. Il jugeaient tout à son aune, et réfléchissaient beaucoup pour se convaincre de leur existence. Ceux qui vivaient dans la plus grande insouciance étaient rejoints par l’idée de la mort à leur premier véritable séjour à l’hôpital, après quoi ils n’étaient plus jamais insouciants et mourraient dans la plus grande indifférence ainsi que dans un cauchemar sans fin. Les plus habiles immortalisaient leurs sentiments pour garder trace de leur vie.
C’était une époque où les humains étaient arrivés au bout d’eux-mêmes, fatigués de leur esprit, de leur corps et de leur semblables. Plus rien d’humain ne leur paraissait beau, toute laideur humaine leur semblait déjà vue. Certains se suicidaient afin d’ajouter une note absurde toute aussi pathétique.
Néanmoins ils voyaient de l’humain partout, ne pensaient qu’aux sentiments, à leur corps, à la vie, à la mort. Leur prochain était déjà là, mais ils s’accrochaient, pourtant en vomissant dégoûtés, à leur humain.
Leur principal souci était de se distraire en attendant l’heure de la mort. Tout pour ce but était bon. L’horizon de la mort se réalisait concrètement dans la distraction en ce qu’ils étaient las de construire quoi que ce soit. « A quoi bon, se disaient-ils. » Et à quoi bon, en effet.
 
mardi, novembre 01, 2005
  < polar >

« Baldir, où sont les lames de fond, bordel ? qu’il gueula, le lieutenant. Et vous irez me chercher deux demi douzaines d’œufs.
— Bien, mon lieutenant. Ce sera fait, mon lieutenant. »
Baldir jeune et droit, dans son uniforme propre, imberbe à la peau lisse et les yeux grands, tourna les talons, vers le fond de la pièce. Fortir expira, les épaules basses dit : « Baldir !
— Oui, mon lieutenant, qu’il se retourna.
— Vous m’assombrissez le parking, Baldir. »
Triste qu’il partit, Baldir.

« Mon lieutenant, du nouveau dans l’affaire Gransart.
— J’ouïs.
— Les enfants ont parlé. Le père est innocent. 75 coups de couteaux, ils s’y sont mis à trois.
— Bien. Bon boulot. Classez le dossier, Horl. »

75 balais qu’il traînait ses guêtres à la crim, le lieutenant. Il avait commencé dans les chiottes, enfermé par sa mère, pour des bonbons volés. « Fallait-y que j’t’expulses par l’cul, mon garçon, qu’elle lui disait. J’ai mal encore. » Le cul de sa mère, c’était comme un oreiller de plumes, pour lui, il y aurait plongé la tête à le bouffer.

« Michel, j’ai pas fini avec toi.
— J’ai tout dit. J’ai plus rien à ajouter.
— Sauf le nom de tes complices, leur adresse, et qui t’as tué exactement.
— Je vous jure c’est le sang de ma femme. Avoir ses règles sur un couteau, elle adore.
— Le labo est formel, c’est du sang de cochon. Il se pencha, marqua une pause, les yeux dans les yeux, et bien lourds de tension calme. Qui t’as tué, Michel ? »
Les yeux de Michel se détournent, il inspire. « J’ai tué personne, conclut-il.
— Ta femme s’enfonce des morceaux de porc ?
— Ecoute, Michel, c’est pour ton bien, intervint Pant. J’ai jamais vu autant de sang sur un couteau. J’en rêve la nuit à pas dormir, ça m’en ferme un poing et j’ai les larmes aux yeux. Un océan de sang qui s’écoule à grande vitesse, et toi à l’autre bout tu tends le couteau, ça gicle bien, et tu gueules, héroïque, que c’est pas toi et que t’as tué personne. Tu mens, c’est évident. Alors dis-nous qui c’est, qu’on aille le choper, ce fils de pute. Hein ! Dis-nous qui t’as tué ! Et il lui balança une droite, comme ça, pour le prix du discours. Et Marcus lui balança une droite, comme ça, pour pas se tenir en reste.
— Okay. Okay. J’vais vous l’dire, qui c’est que j’ai pas tué. Pause seyant à la révélation. C’est Friand.
— Et ben voilà, grand sourire Pant et bras ouverts. C’était pas si difficile.
— T’avais pas le droit d’épargner Friand ! éclata Marcus. T’avais pas l’droit, tu m’entends ? C’est mon ami mon frère, des parties de chasse à la con et des autos-tamponneuses, des pêches à la crevette et des baises d’enfer. Pas toi, t’avais pas l’droit. » Honteux le Michel, tout penaud sur sa chaise, il en menait pas large, le menton chatouillant les têtons ; il banda. Marcus pleurait, effondré une mèche de cheveux sur le front.

Intérieur jour, nuit sur la lune. Des claps et re-claps en d’assourdissant présages. Hurlements incontinents.
« Et nous levons notre verre au nouveau directeur de la police criminelle. Bravo ! Hourra ! »
Dans le coin supérieur gauche Isadora triste appuyée au chambranle d’une porte de sortie. Des longs cheveux dont une mèche qui glisse le long d’un fond de teint mouillé. Le directeur sourit le poitrail en avant. Le serveur avait dans la bouteille pissé et bien refermé, puis s’aplatit devant chacun, sérieux et raide, minable.

Au bureau de l’entrée, pour recevoir les clients, Thor zélé toujours joyeux le sourire sur la bouche. Baldir a passé, un gentil garçon sans histoire. Rien à faire, personne ne vient. Baldir s’arrête, un doigt sur une lèvre, à savoir que doit faire. Thor l’apostrophe, « qu’est-ce que tu cherches Baldir, je peux t’être utile ?
— Euh… Il se gratte la tête. Je devais aller chercher quelque chose.
— Je peux peut-être t’aider, l’index sous le menton. Œil dans œil, dent sur dent, une langue qui lappe la gueule, une main qui pousse dans un coin sur la poitrine de l’autre. J’aime ton visage, Baldir. J’aime tant ton visage. Je sens que j’en ai envie quand tu passes devant moi.
— Euh… ouais. » Ses mains battent l’air, en recul. Dos au mur, s’abandonne. Prêt du songe, bande, tient Thor.
Thor collé à Baldir sent bite dure sous falzar. Débraguette à genoux suce, des cheveux en arrière rejetés suce et regard désirant vers le haut. Regard vers le haut de Baldir, cotonneux, le bout des doigts sur poitrine.

« Qu’est-ce que t’as pétasse ? Il la traîne par les cheveux, tourbillonne dans la pièce, contre les armoires métalliques les vitres blindées, puis vient, repart, projetée sur une table. Qu’est-ce que t’as, hein ?
— Je me suis fait violer, elle dit à bout de souffle.
— Quoi, tu t’es fait violer ? Tous les trois jours tu te fais violer. Tu crois que je le connais pas ton manège ? Ça t’amuse de venir nous emmerder ? Tu crois que j’ai que ça à faire, que d’écouter des putes myhomanes ?
— C’est vrai. Toujours vrai. Violée.
— C’est ça, ouais. » Il prit un talon haut rouge qu’il lui lança sur sa tête retournée contre la vitre. Derrière, Manuela lui faisait un petit coucou, entre copines. Le talon l’ébrécha, dans le cuir chevelu, un peu de sang dans ses cheveux blonds-noirs-brun.
Igor l’attrapa par la veste en jeans, la plaqua contre un mur, arracha sa jupe en cuir, ses bas de dentelle et son string en plastique. Lécha un peu du bout de la langue. Elle fit quelques pas en tordant du cul. « Tu sais, Bibinou est mort hier. J’ai pas dormi de la nuit, tellement ça m’a fait de la peine. Je l’ai mis dans une boîte à chaussures, j’ai dessiné une croix rouge dessus, puis je l’ai mis dans le vide-ordures. J’ai fait un signe de croix après que j’l’ai refermé.
— Ah ouais, t’étais de service de jour aujourd’hui.
— Ouais. J’ai dû chier trois fois pour faire plaisir au client. La dernière, j’ai remballé la deuxième. Smell mes doigts. Il teint ses doigts dépliés à ses narines, huma en fermant les yeux, mordit un doigt par réflexe nerveux. Tu sais quand Starx i’ sort ?
— Dans pas longtemps. Demain, je crois. T’as peur ?
— Après la quatrième fois qu’il m’a violée, je pouvais plus marcher pendant un mois et demi. Ils ont dû me recoudre l’anus. J’ai tellement peu mangé que j’ai retrouvé ma ligne.
— T’es magnifique, depuis. Il l’embrassa tendrement. »

Un coup de fil du labo. « Lieutenant Fortir.
— C’est pas du sang de cochon, sur le couteau. C’est du sang de cheval.
— Bon. Et les empreintes chez les Belhaz ?
— Pas grand chose pour l’instant. »
Deux ans qu’ils essayaient de les déchiffrer ces empreintes.

« T’étais vraiment en poussins à Sarcelles en 82 ? » Pant n’en revenait toujours pas. Il avait été lui-même en poussins à Saint-Brice la même année, ils avaient dû jouer ensemble, aucun ne s’en souvenait.
Fortir passa la tête par la porte. « C’était du cheval, pas du cochon. »
« Et tu fais quoi maintenant ?
— Boucher charcutier. À mon compte depuis trois ans.
— Et t’aurais pas assassiner un cheval ? Ou quelque chose d’autre, d’ailleurs ?
— Jamais. J’aime pas le cheval, c’est ma femme qui s’occupe de la découpe.
— Ta femme… Elle écoule ses règles sur une lame d’acier. Assassine un cheval avec le même couteau. Ça commence à faire lourd. T’as rien d’autre à nous dire sur son compte ?
— Je vois pas.
— Reste là sagement, on va la chercher, ta femme. En route, Marcus. »

Isadora sortit. Dehors, elle appuya sur un bouton de sa montre. Le bâtiment explosa.

Elle ment la jalouse. Elle pleurniche et s’enrhume. Des flaques de gadoue dans lesquelles elle gémit, épuisée bavant ses dernières gouttes de sperme. Elle regrette, regarde le ciel. C’est beau les étoiles.
Il y aura deux morts. Une affaire vite bouclée.
Un par un les humains s’en vont. Un décompte infernal. Mais par où qu’ils entrent, nom de Dieu ? C’est pas normal tout ça.
Plaque d’immatriculation 8937 JTU 75. 17-27-30-42 : 6. Bingo. Tout ce qu’il connaissait aux mathématiques, le lieutenant.


 

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