Des fois t'es dans ta petite bulle, t'arrives à filer la narration, tout va bien. Et puis une panne ou je sais pas trop quoi fait que cette bulle éclate, que tu perds la narration, liée ssentiellement à la rotondité de la bulle. T'es pris d'angoisse, de vertiges, t'es obligé de faire quelque chose pour rétablir un équilibre, si on peut appeler équilibre cette très souvent disharmonie, cette inaptitude à la danse, cette recherche de stabilité, de symétrie, de platitude et de bullitude, d'immobilité parfaite, sur le modèle symbolique d'un homme debout ou position lotus, immobile en tous les cas.
T'as mal à la tête, mal au coeur, rien ne va plus dans ton corps et juste autour, tu ne perçois pas du tout ton environnement, ton rythme ne lui correspond pas du tout, tu le vois trop grand ou trop petit, trop rapide ou bien trop lent, tu n'en discernes pas les limites, tu ne parviens pas à tisser le moindre petit bout de narration, qui ne vient qu'après un équilibre trouvé et permet de le perpétuer. T'es obligé de te réfugier dans les choses, tu éprouves leur réalité, t'en saisis une, t'en déplaces une autre, comme une hystérique crypto-mère au foyer le dimanche, il faut que tu écrives quelque chose, que tu affirmes quelque chose, que tu fasses une action, que ton agressivité s'exprime.
T'es plus dans le domaine du choix, tu sais que c'est déterminé, t'aurais voulu faire autrement mais impossible, ton corps même ne le permet pas. T'y pensais peut-être quand t'étais dans ta bulle, mais on y est bien, dans sa bulle, mise en confiance si grande que tout y semble possible, au moins à condition de n'en être pas éjecté, qu'elle n'explose pas la bulle. Ton seul but est de la retrouver, peu importe si la prochaine crise est plus forte, encore, peu importe si t'arrives jamais à t'en extraire, de ta bulle, c'est la seule qui te convient, tu l'as même tellement habitée que t'arrives à la recréer dès que les circonstances le permettent un minimum. Et puis il n'y en a aucune autre, n'est-ce pas.
Tu rêves de transferts de bulles, sauter de ta bulle dans une autre, ou dans un train, ou sur un champs de bataille, quoi que ce soit qui te mette un peu en route, et à quoi ton séjour en bulle pourrait t'y préparer. Mais il semble que ta bulle te prépare à mourir, rien d'autre. C'est ça quand il n'y a pas d'éducation et plus confiance dans les dispositifs éducatifs qui peuvent exister, parce qu'ils ont cessé de croire en eux-mêmes et se sabotent tous seuls, sans grande vision, ni détermination, juste des habitudes, dirait-on, que tout le monde reproduit sans trop s'interroger.
A force de lire des livres, de regarder des films, de voir et connaître un minimum tant d'humains, on en finit par oublier qu'une vie n'est rien et que les plus grands hommes doivent leur succès essentiellement aux colporteurs de rumeurs post-mortem, ou même ante. C'est qu'on voit le monde comme un, qu'on emmagasine et tente de percevoir ce que ça pourrait donner, tout ensemble, quelle nouvelle chose, quels nouveaux humains, toujours untel ET untel, jamais OU. On devient immortel à force d'être spectateur, même si tous les voyants sont au rouge, c'est aussi qu'on recherche le miracle, défier un peu la vie, la mort ou ce que vous voulez.
L'immortalité, ou l'immobilité parfaite dans ta bulle, pour toi. Que rien n'en sort, aucune production, qu'il n'y ait pas de lien avec le dehors, ou si peu, comme des images en la caverne, souvenirs des morts et voix d'outre-tombe, techniques de communication modernes avec des gens connus. Tu pourrais passer des années comme ça, si ton corps veut bien le supporter. Aucune trace laissée dans le monde, ou presque, une disparition, une consumation intégrale, implosion nucléaire.
Marcher est une grande angoisse, c'est que ce n'est pas un film, si réel devient-il, prévu dans ta petite bulle, où tu imagines ta vie avant, très rarement, de la réaliser. Généralement tu laisses couler et tu reproches au monde entier, aux autres, à la société, à tout ce que tu veux, plus on en ajoute et plus ça devient drôle, de ne pas te prendre en confiance, de t'obliger à marcher vers quelque chose, déplorant les anciens assujettissements qui à ton avis pourraient être réactualisés, version post-libérations, au sein même de la vie, des formes culturelles quotidiennes, d'une vie et d'une culture non segmentées. T'as jamais eu à cacher quoi que ce soit, à mentir, à avoir honte, voilà comment on construit un bonhomme à unique dimension. Tu ne saurais pas dire si t'en souffres, tu ne connais rien d'autre que cette dimension unique, que tu projettes d'ailleurs partout, sur tout et sur tout le monde, en n'importe quelle circonstance. Tu te sens souvent con, mais tu n'en souffres pas, juste un très soupir et tu te demandes pourquoi on ne t'apprends pas à être segmenté, pourquoi on te réceptionne comme un être unifié, en le sachant très bien c'est sûr, parce qu'ils te perçoivent tel.
Sortir de ta bulle et de ton moi sans devenir en proie à la panique, au faire déterminé d'un être à la conscience qui ne s'appartient plus.
Des bouts, partout par terre, des bouts. Ensemble hétéroclyte qui à l'oeil commence à prendre forme. La poupée devient une poupée, un bras de poupée devient un bras de poupée. Des formes de corps, des formes de membres, surtout.
Elle qui n'arrivait pas à se faire exposer, à entrer au musée vivant, et vivante. Par manque de gentillesse, lui a-t-il fait comprendre, par trop d'inhibition, par des restes de dignité, et quoi ? s'est-elle crue de la génération de ses parents, et encore, à cette époque-là n'était-ce pas la libération ? Trop vieille, la jeunette, et ses oeuvres également ne mentent pas, d'un autre âge. Ses oeuvres opaques, ses oeuvres plates, ses oeuvres qui retiennent leur sens et leurs contenu, qui ont encore du sens et du contenu, que tout tient dans l'opacité plate grâce à un cadre, comme d'autres le ventre avec une ceinture, et d'autres encore les seins les cheveux, retenus par des ficelles pour donner forme correcte, acceptée, tolérée, valorisée, subventionnée.
Extrait de lui : "non, il n'y a pas de droit d'entrée sexuel ; non seulement les sociologues qui ont mené d'ailleurs une enquête sur ce sujet ont été très clairs, mais encore il n'y a ici que des amis à moi, et vous savez, dans le milieu de l'art, chacun a beaucoup de désir, d'appétence, on en veut et on aime la vie ; hommes ou femmes nous sommes d'abord une communauté de gens qui aimons la vie, et le sexe, ça fait partie de la vie, non ? Comment voulez-vous faire de l'art si vous n'aimez pas la vie ? Prenez une hystérique, par exemple, sa place est en clinique ou bien mère au foyer, pas dans un musée ; si certaines personnes ne sont pas artistes mais voudraient l'être, c'est leur problème, ici nous ne faisons entrer que des artistes ; je les reconnais, les artistes, vous savez, parfois je n'ai même pas à regarder leurs travaux".
Elle est revenue, sans sucer, sans se faire prendre sur le bureau, sans exposer son sexe, qu'elle appelle chatte, sur le papier, "la chatte de la poupée". Un sociologue écrit : "l'artiste contemporain peut être compris comme le modèle du travailleur contemporain". Elle n'est plus vierge à cause d'une banale histoire d'amour ; non, deux banales histoires d'amour, mais son sexe reste elle, métaphore de sa vie et d'elle-même, il ne va pas partir au plus offrant, il ne va pas s'éclater dans le luxe de la perte de soi, ni servir de monnaie d'échange et de passe-droit pour tous les lieux de réussite, d'ascension professionnelle et financière ; artistes pour aristos accessoirement soubrettes, autre siècle autre moeurs, mais où est passé le vingtième, il dit : "c'est le siècle de l'horreur, autant l'oublier". Elle lui en veut, et lui espère une métaphorisation sexuelle, il dit : "elle ne veut pas me couper les couilles et ne le fera pas, elle veut me baiser, et ma foi ça ne me déplait pas, je dois la laisser venir et exciter son désir puissance n ; c'est la vie, le sexe, c'est même la base de la vie, la psychanalyse n'a-t-elle pas mis cela au jour ?". Dur combat, qui met en jeu l'art et l'artiste, le commissaire d'exposition et le lieu d'art, et combien plus encore.
Rien sur les murs, une installation diraient certains de la génération d'après ce public qui vient et qui dit devant rien : "c'est beau", "ah non, tu vois, ce rien du tout, je n'aime pas, je ne sais pas, ça ne me parle pas". Des objets, des demis-objets, des bouts, tout un assemblage pour gamins attardés, venez jouer, jeté là sans ordre ni ordonnance sur une surface plane appelée sol sur un périmètre déterminé par l'idée que la liberté d'un s'arrête là où commence l'oeuvre de deux, voisin, autre, comptage individuel dans le contenant institutionnel.
Beaucoup de gens passent et s'arrêtent, debout bien droits ou un peu avachis par leur déjà heure de visite dans cet endroit propret, clair et lumineux comme un tribunal à l'architecture récente. Ils regardent et cherchent à voir et à comprendre. Ils lisent le panneau donnant explications, ils regardent et reregardent, se demandant quoi penser, se demandant ce qu'ils ressentent, d'autres se demandent ce que l'artiste a voulu faire, la proposition originale de cet être singulier, si originale et si singulier qu'on se presse de refermer cet être sur lui-même, ce qui marche couramment bien quand cette originalité et cette singularité n'est surtout que des mots, déclarations d'intention et prétention éhontée.
Des poupées, des bras, des jambes, des phallus, des poupées sans bras ni jambe, au sexe troué, on peut faire des assemblages, un phallus dans sa chatte, est-ce un homme maintenant ou s'est-elle bien faite niquée, et autres réflexions métaphysiques d'un peuple assurément aplati. Ils se parlent et l'un dit : "Los Angeles est une ville plate à perte de vue, mais déjà les villes chinoises sont des villes organiques. -- Je ne connais pas les villes chinoises".
Une poupée lui ressemble, une autre c'est lui, mais il y en a d'autres, beaucoup d'autres, et des objets divers dont l'on peut décorer les poupées, toutes à la forme semblable, industrialisation de la poupée et de ses accessoires, érotisation du prolétariat d'obédience exclusive. Deux caméras, planquées dans les oeuvres du voisin, filment le jeu et enregistrent les délires et questions et réponses et normalités qui se jouent à même le sol de ce laboratoire social ; quelques jeunes jouent avec les poupées, mais beaucoup n'ont même pas compris de quoi il s'agissait, ils laissent les poupées à leur sort, au meilleur des mondes possibles, il baise, elle est baisée, qu'ils soient amis ou non, qu'ils aiment la vie ou qu'ils préfèrent violenter le voisin pour pimenter un peu, se promenant dans ce musée, dans cette crypte de vivants embaumés, avec tout le respect dû au lieu, au directeur et aux artistes, tels qu'ils sont, baisodrome, baiseur, baisée, elle peut aussi sucer mais pour se faire enculer veuillez saisir le code. Les poupées ont sept trous, c'est le chiffre divin.
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