— le monde est rien et dtfaçon kes t’y peut toi ? jsais rien, jconnais rien, jfais rien de ma vie, kes tu veux que jty dise. Pis tout le monde s’en fout, si tu penses kjsuis kelkun d’important tu tgoures, jle pense pas moé, alors tu vois, jmen fous, jvis ma ptite vie, j’essaye de msentir bien comme ça, jme fatigue pas la tête, tu sais, y’a personne qui voit rien, et pis si y’a kelkun qui vnait, ptét bien qujmen foutrait, ou par curiosité, ptét ben. Ta pas dvanité quand les aut y sont pas là, si le maît y tregarde pas tu t’en fous, et pis si le maît en toi l’est plus. Tu peux même te laisser aller, même. C’est doux, tu sais. Tu vis plus rien, tu peux bien être heureux.
Vie amorphe, ne rien faire, passe temps unique qui rend zombie, nécrose du corps névrosé dans ses replis puants. Vie sous perfusion dans les deux sens, l’art et la manière d’être con. Horizon de la mort, de toute façon ça ne va pas durer longtemps, désert à perte de vue, ah c’est plus les maisons bien fermés pleines de petits bibelots et de tapisseries kitsches. Aucune prise sur le réel, je sais pas me servir de mes mains, et elles s’abîment trop vite au contact de n’importe quelle matière. J’ai pas de rage, pas de haine, je connais personne, comment ça pourrait être, et puis j’ai pas envie de connaître qui que ce soit, chacun est un désert sans aucun intérêt, on n’a rien à se dire, je connais rien, j’ai rien à leur demander, nous n’avons rien à vivre ensemble. Ça naît comme ça l’amour, je me disais, l’accroche nécessaire dans le parfait désert. Mais ils sont tous si croyants dans leur vie et dans leur cadre de vie, ils arrivent tous bien à vivre, de bons animaux sociaux, pas comme moi, je sais vivre que dans les zoos, mais là-dedans je me laisse mourir par pure protestation, Oblomov retrouvé. C’est complètement stupide, surtout que c’est silencieux. Ça ne fait pas de bruit quelque chose qui meurt, depuis qu’on en a marre des tambours et trompettes, qu’on veut la vérité de la mort, c’est tellement silencieux qu’on ne le voit même pas, on préfère largement les flashs, mais ils cachent tout à trop montrer. J’en ai marre du bruit et des autres, je sais bien qu’il faut faire gaffe au tourbillon de la déprime, qui nous imprime autant que les autres la chose qu’ils sont, et même plus, mais ce que je veux n’est pas la déprime, et c’est pas le contraire non plus, je sais pas ce que je veux.
J’ai pas vraiment d’horizon, des possibles dont j’ignore le potentiel probabilistique, et j’ai pas vraiment d’être à mettre en avant, une essence que je pourrais chercher à extraire, je change un peu trop souvent je trouve, et suis toujours pareil, banal numéro je me perds dans la foule. L’objectivité, la raison, l’intérêt pour les autres, très peu pour moi, le moment qui clôt l’enfance après quoi c’est quasiment fini, ça fait que commencer, il est pas encore passé. Je sais pas quand ça vient, peut-être quand il n’y a plus rien, une vague débarque qui emmène la coquille vide se faire houler dans la mer. J’ai même pas une vie vraiment merdique, que la raconter ça mettrait déjà des couleurs, là c’est un peu comme une machine électronique à faire des sons qu’on aurait oublié d’éteindre avant de partir, il reste un son sourd lent en continu que plus personne n’écoute, et pourtant c’est quand tout le monde est parti que commence la musique. J’arrive pas à être simple, je veux être compliqué, me conformer à une image, un code, un être, un programme existentiel, en trouvant ce machin par une recherche qui serait recherche de moi aussi, quitte à le présenter comme celui d’un autre mon double, très peu pour moi, je ne me reconnais jamais dans les miroirs, mais c’est vrai que c’est stupide, on demande si je reconnais l’image en moi et pas moi dans le miroir, quel naïf que je suis. C’est que tous font partie du complot, un mot que je n’aime pas beaucoup, je prends pas cette affaire à cœur, leur connerie fait sourire. Mais j’imagine que ça doit libérer de pouvoir dire je suis ceci, je suis cela, et de parler de la chose, et de se conformer à la chose pour vivre, si on a confiance, et on a confiance puisqu’on croit qu’on est ceci, qu’on est cela, ça doit porter, et ça doit aérer les poumons, comme si l’air qu’on insuffle il venait des images, des choses, que l’image qui va de nous à elles, et retour, ce serait de l’air, alors que je reste sans et les poumons tout plats, et ces choses me procurent de l’angoisse, parce que c’est pas moi, c’est une caverne qui m’enferme et m’étouffe.
J’ai dû dire très tôt je, à la naissance déjà, quand c’était tout ce que je pouvais opposer à l’hélico qui me transbahutait, je devais pas avoir beaucoup confiance, alors entre la mère qu’était pas là, l’hélico qu’était pas sûr, la sage-femme qui en avait marre de moi, et là où on allait que je savais pas si on allait quelque part, c’est probable que j’ai pu juste penser je. Je sentais rien de spécial, pas de sensations particulières, simplement la sensation de moi, y’a rien d’autre et y’a rien d’autre à dire, dans un hélico qui fait Gap-Marseille tout droit, la complexité du monde et de la culture, ça nous passe un peu en dessous, et puis que qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’il y a — y’a que la nuit et puis un bruit toujours pareil, et puis c’est tout et puis je sens je : comme on dit, rien. Il y a je et puis rien d’autre, parce que le bruit et le ciel ça compte pas vraiment, et je c’est pas grand-chose, on pourrait s’en passer, mais pour l’instant y’a que ça, sauf à convoquer des chimères, et les chimères, qui est né dans un hélicoptère n’en a pas tant que ça, c’est calme plat et nuit sans lune et vrombi les pâles, le silence est si grand qu’il y a même pas à pleurer, on est tout seul et tout ce qui existe ne dépend que de nous, ce je que je devais sentir et qu’il valait mieux que je sente bien parce que je ne pouvais avoir confiance qu’en lui. Déjà à la naissance j’avais pas beaucoup d’air, pneumothorax d’entrée, seul avec moi-même que je venais de découvrir, mon meilleur ami, et moi entre un pneumothorax et un grand désert, au milieu moi et je.
Il y a des naissances qui facilitent pas à l’insertion sociale. Inséré en moi-même, c’est tout, je mon meilleur ami mon double, seul repos de ma confiance, et confiance angoissée, parce que j’en doute toujours. Comment peut-on avoir confiance dans un machin crevé d’un pneumothorax. Depuis c’est toujours un peu pareil, le monde c’est le désert, les autres sont bien loin, il n’y a que moi, tout seul, avec moi-même. Je tente un rapport aux images, peut-être pour trouver un peu d’air, mais l’air d’un moment est la sûre angoisse le moment d’après. C’est que je gagne le pneumothorax mais je perds le je. Je le perds et je ne vois pas quels mots pourraient dire le voyage dans la nuit, et puis moi là-dedans, comme une incapacité à fermer les rideaux, que si l’on tire trop ça craque, faut y aller doucement mais on comprend jamais comment ça marche, on finit par regarder au loin par la fenêtre en oubliant le geste, et puis ça vient, alors on recule d’un pas et on laisse nos mains terminer le mouvement, en regardant en l’air, et quand c’est fini on n’oublie pas de maudire le rideau au passage, avant de sourire, parce qu’il est notre ami, et puis on va se coucher. C’est ça, mon voyage dans la nuit, il s’inscrit dans cette scène, qu’il faudrait la tirer comme un rideau, et ça dirait assez bien le fin des fins, car ça va chercher loin. Y’a toute une vie dans un tableau, pour d’autres dans des catégories populaires remplies de choses, d’actes et de signes, et d’être et de langage. S’identifier à un voyage en hélicoptère ou à une star de cinéma, c’est à peu près pareil, car l’essentiel, qu’ils disent, c’est de se reconnaître dans quelque chose, parce qu’on ne peut être soi-même qu’en étant quelque chose d’autre, des réseaux de symboles qui s’appellent les uns les autres, se cristallisent et se meuvent comme le réel qu’on croit, jusque dans les bugs des jeux vidéos même, des formidables coïncidences qui peuvent également être autrement, alors tout change, il faut tout refaire, ou suivre le chemin, parce que l’imaginaire depuis Martin paraît plus sûr que le monde réel, qu’ils disent, des constructions strangulantes pour animaux sociaux pendus et courts dans le lynchage par ses congénères propres, Léviathan qui digère les êtres avec les choses prises dans la lave refroidie.
Le vent souffle fort et des portes claquent dans le couloir. (Je vais me coucher, Thiéfaine : « je vous — attend ».)